les assoupis – texte

Caroline Pandelé est née à Cognac, elle vit et travaille à Toulouse. Diplômée de l’Ecole Supérieure d’Art de Grenoble en 1999, elle a participé depuis à diverses expositions collectives ou individuelles à Arles (festival off), Paris (Jeune création en 2002 et 2003), Bourges, Limoges et en région Midi-Pyrénées (bbb, Printemps de Septembre à Toulouse, le Parvis à Ibos, La cuisine à Nègrepelisse).

Artiste à la démarche protéiforme, entre image, photographie et installation, Caroline Pandelé nous présente ici une œuvre nouvelle imaginée pour l’espace de la Chapelle Saint-Jacques.

Ainsi, Les assoupis prennent place au cœur de la nef, dans une vaste installation au sol, dépouillée, sobre. 24 volumes en ciment rythment la surface bétonnée du centre d’art, mais n’apparaissent pas dans une forme distincte au premier abord. Un chemin se dessine invitant le spectateur à pénétrer dans l’œuvre et suivre un parcours sinueux entre les reliefs disposés en quinconce. Ce n’est qu’à ce moment que l’on perçoit des formes anthropomorphiques, on distingue des pieds, des têtes, des corps. Finalement, seulement deux types de silhouettes se répètent en alternance, en lignes, en colonnes ou en diagonales, tels les motifs d’un tapis, d’un pavage ou d’une tapisserie, produisant ainsi une partition de l’espace par répétition des mêmes éléments. Le promeneur peut aller s’égarer au milieu de ces masses sombres et pleines, sortes de traces ou de flaques qui semblent se confondre avec le sol et qui matérialisent un espace entre-deux. On se retrouve à la fois à la surface d’un espace sous-terrain, induit par la fine épaisseur de ces silhouettes qui semblent s’enfoncer ou sortir du sol, et à la frontière d’un espace supérieur qui nous attire et nous transporte dans une sorte de lévitation en miroir avec ces assoupis. Une certaine quiétude se dégage de cette installation, mais régulièrement nos pensées vagabondes sont troublées par les explosions d’un feu d’artifice, qui dans un sursaut, nous ramène à la réalité concrète. Ce contrepoint sonore et festif nous renvoie aux couleurs, aux lumières, à l’obscurité, au firmament.
Puis, le silence.

Notre parcours se poursuit alors dans l’absidiole éclairée d’une douce lumière. Sur une table aux pieds exagérément hauts, se trouve un étau qui maintient une mouche de pêche artificielle imaginée par l’artiste. Ce leurre, traditionnellement utilisé par les pêcheurs dits « à la mouche », est une imitation qui tend soit à provoquer une attitude agressive de la part du poisson recherché, soit à reproduire l’insecte ou la proie dont le prédateur se nourrit. Sèche, émergente ou noyée, cette mouche nous renvoie à la surface de l’eau ou ses profondeurs. D’apparence trompeuse, ce faux-semblant ou trompe l’œil, qui ici ne copie aucune espèce réelle, nous maintient à la surface des choses pour mieux en évoquer les subtilités et les réalités masquées par des apparats trompeurs. Blanc, léger, fragile, sophistiqué, cet éphémère de plumes et de poils, dénaturé et perverti, contraste tout d’abord avec l’étau de métal qui le maintient serré, et aussi avec les silhouettes grises voisines, plus massives.
A l’étage, les silhouettes se déclinent dans une matière et une couleur différentes. Tricotées de coton blanc, elles évoquent la douceur d’une chaleur enveloppante, elles matérialisent le temps physique, elles synthétisent paradoxalement à la fois la sophistication, la précision du geste et la pesanteur déjà présente dans les silhouettes de béton. Le motif est ici désorganisé, il échappe à la disposition métrique, chaque unité se lit comme une pièce indépendante des autres mais en dialogue avec le reste du motif que l’on perçoit dans son ensemble vu d’en haut.

Une douceur sans limites frémissait sur tout cela comme un souffle d’air, fraîchissant à l’approche de la nuit. Je crois que notre écorce, plus rugueuse d’année en année, s’est assouplie pendant quelques instants, comme la terre dégèle et laisse l’eau nouvelle sourdre à la surface. 
Philippe Jaccottet – Cahier de verdures – Poésie Gallimard. 

Centre d’art contemporain Chapelle Saint-Jacques
Véronique Fauvet 2014