Tout va bien est une installation composée de trois éléments qui placent le spectateur dans un entre-deux, sur le fil d’un équilibre fragile, transformant ainsi l’espace de la galerie en un seuil. Autant abruptes que douces, les trois images qui nous sont données à voir créent un balancement entre les idées de vie et de mort.
L’approche de l’installation de Caroline Pandelé s’effectue dès l’extérieur de la galerie. La vitrine est en effet remplie de terre jusqu’à hauteur des yeux, de façon à ce que la photographie placée sur le mur situé en vis-à-vis soit visible par le spectateur depuis la rue. Ainsi, la fleur représentée – qui dans la distance apparaît totalement naturelle – entre en dialogue avec la vitrine dans la mesure où elle semble sortir de la terre, mettant par ailleurs en avant l’aspect fertile et nourricier de cet élément. L’artificialité de la rose n’apparaît que lorsque nous sommes directement face à la photographie. Ainsi, de façon très subtile Caroline Pandelé crée des tensions entre les éléments et les matériaux. Aussitôt le leurre relevé, cette rose – qui de prime abord présente une apparence séductrice – nous renvoie à une image de froide immobilité morbide. Dans Tout va bien, un basculement apparaît autant au sein de chaque image que par leur dialogue entre elles. La fleur artificielle est intrinsèquement liée à l’idée d’immortalité et par conséquent à la notion de mort. Ornementale ou funéraire, elle est également liée au souvenir et à la mémoire. Ainsi, la volonté de contrôle sur le temps est sous-tendue par cette fleur, qui ne se désagrègera pas. Dans les peintures de vanités, les fleurs rappellent la mortalité, or ici se crée une ambivalence puisqu’elle ne sera pas altérée par le temps. A travers cette rose apparaît donc la tension contradictoire inhérente à l’humain entre sa marche inéluctable vers la mort et sa potentielle volonté de maîtrise sur sa condition, tension qui pourra trouver différentes résonances chez chaque spectateur.
La terre placée dans la vitrine, matière organique, revêt la même dualité. Source de vie, elle est également destructrice en se nourrissant de ses propres morts. Elle est donc régénératrice et renvoie à la notion de cycle de vie. Par ailleurs, le côté factice de la fleur trouve un écho dans la terre dans la mesure où, élément naturel par excellence, sa présence dans la vitrine d’une galerie apparaît comme artificielle.
De même, l’affiche photographique couvrant le troisième mur se présente comme un leurre. Une fente s’ouvrant sur un passage est placée au centre de l’image, positionnant le spectateur sur un seuil. Se crée ainsi une nouvelle tension entre l’envie de découvrir où mène ce passage et l’impossibilité de passer au-delà de ce simulacre. La couleur rose offre un écho esthétique à la photographie de la fleur et crée une dualité similaire entre la douceur apaisante, l’attrait charnel de cette teinte et l’inquiétante faille sombre qui perce au centre. Symbole de la mort, le couloir place ici encore le spectateur en situation de trouble. Par ailleurs, il invite également à passer derrière l’image. Oscillant entre subtilité et frontalité, jouant entre les différents modes de représentation, Caroline Pandelé incite ainsi le spectateur à glisser au-delà de l’image.
La notion de souvenir, liée à l’idée de disparition est renforcée par la plaque en plexiglass qui recouvre la photographie de la fleur. Rappelant la forme d’une plaque commémorative par son aspect strict et figé, elle crée en même temps une légère mise à distance par rapport à la photographie, contrairement à l’affiche qui, nullement protégée, est palpable et semble fragile comme une peau. Caroline Pandelé nous rappelle ainsi que derrière les simulacres de la vie, le souvenir reste.
L’installation Tout va bien se présente comme une sorte de porte sur le souvenir, la mémoire, la perte, sans que rien ne soit vraiment donné, chacun devant se confronter à sa propre histoire. Tel un Memento Mori, et malgré l’aspect charnel et exacerbé des couleurs, elle nous rappelle la fragilité de la vie et la fugacité du temps, amenant le spectateur à s’interroger sur les illusions face auxquelles il peut être sans cesse confronté. Le balancement constant entre trouble et tension, pouvant conduire à une sensation de vertige, est apporté par l’artiste avec beaucoup de délicatesse.
« Tout fuit, tout s’éteint, tout s’en va, [l]a seule image reste » (Victor Hugo, « Billet du matin », Les Contemplations)
Marine Laplaud
Historienne de l’art 2012